On pourrait à première vue s’étonner qu’un département comme celui de l’Allier, qui ne compte pas plus de 300 000 habitants, ait développé une forte notion d’ « identité ».
Le département de l’Allier qui a élu 4 députés de gauche dans les 4 circonscriptions qu’il compte jusqu’aux prochaines législatives, et qui s’est à nouveau doté en octobre 2008 d’un président du conseil général communiste cultive cette originalité de département « de gauche » depuis la fin du XIXe siècle. Plus fort encore, sur les deux sénateurs élus récemment, l'une est une sénatrice apparentée communiste, Mireille Shurch.
A seconde vue, on pourrait aussi s’étonner que les habitants d’un département si ancré à gauche se qualifient eux-mêmes de « bourbonnais », ce qui fait référence à leurs anciens ducs.
On impute généralement l’orientation récurrente à gauche, voire à l’extrême gauche, du département de l’Allier, au système d’exploitation des terres qui prédominait jusque dans les années 1970 : le métayage. L’écrivain paysan d’Ygrande, Emile Guillaumin, fondateur d’un syndicat paysan, rédacteur du journal « Le travailleur rural » et actif dans un mouvement coopérateur pionnier, fit d’un métayer, le père Tiennon, le personnage central de son roman, « la vie d’un simple » qui faillit obtenir le prix Goncourt en 1904.
Les baux à métayage, ou baux « à mi fruits » apparurent à la fin du XVe siècle. La première forme de bail à mi-fruit que l’on connaît est le bail à « croix et à cheptel » (« croix » pour « croissance »). Un des contractants, le bailleur, est propriétaire d’un cheptel et par contrat, le confie à un éleveur appelé « preneur ». Charge est dévolue à ce dernier de prendre soin des animaux, de veiller sur leur croissance. Les bénéfices sont partagés (voir les « Coutumes du Bourbonnais ») : la rémunération s’effectue alors en nature.
Le bail à métayage est un contrat de droit privé qui lie un propriétaire (bailleur) à un exploitant (preneur) et toutes les variantes sont possibles.
- Le propriétaire fournit le capital (au moins la terre et les bâtiments). La plupart du temps, il fournit aussi le cheptel. Il peut fournir aussi une partie du matériel d’exploitation (train de culture et bœufs ou chevaux qui les tirent), voire même une partie des semences.
- Le paysan (« preneur ») ne possède souvent aucun capital. Mais il peut aussi posséder tout ou partie du matériel. Ou être associé avec le bailleur dans la propriété du train de culture, des animaux de trait, d’une partie du cheptel. Mais surtout, il est exploitant, c’est-à-dire que ce qu’il apporte, c’est sa force de travail.
- Dans un contrat équilibré, le capital est rémunéré. La force de travail de l’exploitant est aussi rémunérée. Il y a partage des bénéfices, mais aussi partage des pertes. La caractéristique principale du bail à mi-fruit étant le partage des « fruits », on peut concevoir une rémunération du métayer en argent.
Economiquement parlant, être propriétaire de la terre et des bâtiments que l’on cultive constitue un « gel de capital ». La situation de propriétaire n'est pas toujours la meilleure, et les baux à métayage n’ont pas entravé le développement de la prospérité des gros céréaliers de la Beauce, presque tous métayers dans les années 1970, encore. Le système de métayage n’est pas en soi un système inique, mais ce qui me paraît caractéristique des baux à métayage bourbonnais, observés sur une longue période, c’est que peu à peu, ils deviennent des contrats de dupes.
Les contrats à métayage n’ont pas attiré l'attention des législateurs à la période de la Révolution, puisqu'il s'agissait de contrats privés. Et paradoxalement, c'est sous les seconde et troisième républiques, au cours du XIXe s., qu'on voit apparaître des clauses nouvelles, à connotation très féodale : comme les corvées, c’est-à-dire un travail non rémunéré, au bénéfice du propriétaire, des mesures vexatoires (ma grand-mère racontait comment le propriétaire entrait dans les maisons des métayers et allait voir ce qui cuisait dans la casserole - voir aussi ce que raconte Emile Guillaumin, dans le syndicat de Baugignoux) ou l’impôt colonique, qui est le transfert sur l'exploitant de la charge d’un impôt foncier.
Economiquement parlant, par rapport aux "locatiers" ou aux salariés agricoles (qui travaillaient pour les métayers), les métayers n'étaient pas les plus mal lotis. Remarquons aussi que dans le même temps, des corvées étaient aussi effectuées au bénéfice de la collectivité (la commune) pour l’entretien des chemins, par exemple. Mais celles exigées du propriétaire, un travail gratuit à une époque où les paysans, notamment ceux qui habitaient à proximité d'une des nouvelles lignes de chemin de fer, migraient vers les villes (et Paris) et asprient à un emploi salarié, furent de plus en plus mal perçues.
Ce que l’on sait moins, c'est que ce type de dispositions (les corvées) se trouve aussi dans les baux à fermage, comme celui-ci.
Entre les soussignés Mademoiselle GIVAUDAN, propriétaire à CHATILLON, Allier et Monsieur et Madame LAURENT Antoine, fermier à CHATILLON, il a été convenu ce qui suit :
Mademoiselle GIVAUDAN afferme à Monsieur et Madame LAURENT Antoine pour neuf années consécutives qui commencent le onze novembre 1904 pour prendre fin le onze novembre 1913, une petite propriété située à CHATILLON, moyennant le prix annuel de cinq cents francs, payables le onze novembre de chaque année.
Les preneurs ne prendront pas de cheptel et ne seront pas tenus d’en laisser à leur sortie. Ils ne prendront ni trèfle ni luzerne et n’en laisseront pas. Ils emblaveront à leur entrée mais n’emblaveront pas à leur sortie. Ils devront laisser les foins engrangés à leur sortie comme ils les ont pris. Ils devront aussi laisser deux milles de paille pesés. Les preneurs devront faire consommer les foins dans la propriété, quant à la paille, ils en disposeront comme bon leur semblera. Les preneurs n’ayant pas pris de fumier à leur entrée ne seront pas tenus d’en laisser à leur sortie. Les preneurs auront droit au puits de village pour la préparation des aliments seulement. Pour les lessives et les besoins des animaux, ils devront prendre l’eau aux fontaines.
Les preneurs seront tenus de faire annuellement six charrois pour l’usage personnel de Mademoiselle GIVAUDAN. Ils ne tiendront pas de chèvre et ne supporteront pas qu’il en soit introduite dans les biens affermés.
Mademoiselle GIVAUDAN cède aux preneurs sans garantie des contenances, les bâtiments de la Croix, avec le jardin qui en dépend, les champs de la Croix, le champ de la FONS, le champ de la PLACE, un héritage dit les COTES, deux prés désignés sous le nom de pré CLEMENT. Dans le petit pré qui avoisine la maison DUCOUT, les preneurs devront laisser la grandeur d’un tour d’échelle sans couper ni faire manger l’herbe. Les charges sont évaluées à 12 francs.
CHATILLON le 10 novembre 1904
Signé Liliane GIVAUDAN et LAURENT
Reçu onze francs cinquante centimes.
Nota : On remarque que Melle GIVAUDAN était aussi propriétaire du puits du village.